Libres et inégaux

D’où proviennent les sentiments de honte, de frustration, d’insatisfaction permanente, de jalousie, de colère… ?
D’une incohérence fondamentale, laquelle se trouve liée à quelques croyances fortes sur comment nous devons être et nous comporter, chez nous, en nous, en société…
En consultation, rares sont les individus qui souhaitent effectuer un changement qui sera radicalement condamné par autrui. Pourtant, au fur et à mesure de l’échange, ils y viennent avec de plus en plus d’assurance. Ils s’affirment.
Qu’est-ce qui s’affirme au juste ? Une entente entre le bon sens individuel et le sens commun.
Nos sens sont parfaits pour évaluer notre environnement, et ne limitent que les extrêmes.
Ainsi sont-ils en mesure de décréter qu’il est préférable de porter des gants pour sortir une plaque du four. Que sortir nu par temps enneigé est une idée intéressante sur le court terme. Que fumer peut polluer. Qu’écouter de la musique au-delà d’un certain volume est nocif etc. Nos sens jugent le danger. Quant au reste et bien, pour eux c’est de l’option de vie, de l’objet de curiosité, d’expérimentation.
Ainsi, chaque jour depuis notre plus tendre enfance, sommes-nous poussés par nos sens à découvrir un maximum de ce que nos environnements ont à offrir.
Alors, que se passe-t-il lorsqu’un individu extérieur nous dit « Non » ? Qu’il nous interdit une expérimentation par la voie de l’autorité ou de la condamnation « Sinon, je te punis. » ?
Nos sens captent alors un danger dans l’intonation, la posture, les gestes, l’énergie de cette personne qui semble avoir le maître mot en toute circonstance. Ils captent qu’une conscience extérieure cherche à pénétrer notre monde intérieur pour y apposer son droit de véto. Danger. C’est un rejet immédiat pour la part du cerveau chargée de traduire les influx sensoriels. Un « non » punitif ne permet pas d’expérimenter. Un « non » déchargé de toute explication impliquant nos sens, telle que « le four est très chaud, et lorsque la peau le touche, elle se colle par l’effet de la chaleur et entraine de graves détérioration des tissus, tu auras terriblement mal et tu seras incapable de te servir de ta main pendant une semaine. Tu verras plein de cloques gonfler sous ta peau et cela entrainera des cicatrices. ». Un « non » nerveux mais souvent dénué de signes non-verbaux évoquant un danger avéré par expérience.
Comment notre esprit traite ensuite ce genre d’interdit ? Lorsque le « non » provient d’un référent émotionnellement important, tel qu’un membre de la famille ou de l’autorité ou un groupe social qui nous attire, alors une autre part du cerveau impliqué dans la survie nous alarme : « Veille à rester entourer ! » Ce qui se traduit le plus souvent par : « Fais ce que l’on te dit de faire ».
Et voici l’incohérence la plus courante parmi les humains : nos sens expriment un besoin d’expérimentation, notre conscience sociale exprime un besoin d’être acceptable.
Si un enfant doit faire des pieds et des mains pour être porté en grâce par ceux qui lui assurent sa survie (manger, boire, dormir au chaud), l’adulte en revanche est doté d’un outil qu’il peut utiliser à sa guise : la liberté.
Bien que la liberté ne semble pas se trouver partout à la fois, il y a un poste auquel elle se tient à merveille : le jugement personnel.
Il parait qu’il est dangereux, directement ou indirectement de :
Manger gras, sucré, salé, gluten, lactose…
Fumer, picoler…
Être méchant, écervelé, râleur, déprimant, grossier…
Être difforme, aveugle, sourd…
Demeurer sédentaire
Se promener dévêtu en plein hiver
Acheter chinois
S'amouracher d'un individu de même sexe que soi
Côtoyer des individus aux morales différentes
Être « trop » ceci ou cela…
Bien, il y a quantité d’informations de ce genre qui cherchent à nous « aider », au premier abord.
À nous donner un plan de survie en monde hostile. Un gosse de pêcheur thaïlandais, déambulant à walou entre des planches humides agrémentées de rouille sourirait ici à pleines dents.
Que disent alors nos sentiments, face à nos décisions de coller parfaitement à tout ce joli programme bien propret ? Que c’est absurde. Que pour décider, il est nécessaire d’accepter totalement le programme inverse non pas comme plus adéquat, mais comme intéressant et valable aussi. Vous avez peur d’être gros ? Vous l’êtes et vous avez honte ? Eh bien, vous n’avez pas été assez gros pour étouffer non sous un amoncellement de condamnations extérieures, mais sous un surplus de plis. La limite ne se ressent pas à la honte, elle se ressent à ce même sentiment que l’on a lorsque l’on approche le doigt de la flamme plus de quelques secondes : OUCH !
Quoiqu’en disent les tenants du discours santé à tout prix, seul le corps sait. Et votre corps n’est pas celui du voisin.
Alors, si vous ne vous sentez pas maîtres de votre vie, je vous invite à tester ceci :
Prenez les sujets de vos pires honte, culpabilité, colère…
Imaginez que vos proches, vos amis intimes, vos idoles… vous aiment toujours autant, ni plus ni moins, toujours autant lorsque vous devenez ou assumez d’être bête, méchant et moche.
Puis, vivez cette condition physique et comportementale de l’intérieur. Offrez à vos sens, depuis votre monde fictif, cette version de vous-mêmes.
Et demandez : « Quand tout le monde m’accepte et m’aime malgré ce comportement ou cette apparence, est-ce que c’est totalement bon pour moi ? Est-ce que ça me plait à moi ? Est-ce que mes sens trouvent cela sûr, sécurisant, sain ? »
Touchez votre corps, écoutez vos discours, regarder votre visage… de l’intérieur, de plus loin, de plus haut… Tout cela dans votre imaginaire.
Si vous ressentez une alarme, c’est que ce comportement ou cette condition physique, mentale, que vous aviez condamné(e) sans même l’avoir expérimenté(e) n’est vraiment pas recommandé(e) POUR VOUS.
Expérimenter, délibérer en soi, choisir et assumer. Et si c’était ça la recette de l’équilibre ?
Oh et, l’équilibre implique bien évidemment d’envisager une vie totalement déséquilibrée, pour ensuite décidez de tout ce jeu-là par vous-mêmes !
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